Les architectes du pouvoir marocain : décryptage des 4 hommes les plus influents
Au cœur du Royaume chérifien, là où l’histoire millénaire rencontre les ambitions du XXIe siècle, se dessine une cartographie complexe du pouvoir. Loin des clichés et des analyses superficielles, notre magazine vous invite à pénétrer les cercles d’influence les plus exclusifs, à décrypter les stratégies silencieuses et les alliances discrètes qui façonnent le destin du Maroc. Qui sont ces hommes dont les décisions résonnent bien au-delà des palais et des conseils d’administration, et comment ont-ils bâti leur empire d’influence? Préparez-vous à une immersion inédite dans les coulisses d’un pouvoir où l’économie, la politique et la proximité royale s’entremêlent avec une sophistication rare.
1. L’élite invisible : quand le pouvoir se tisse dans l’ombre
Dans les salons feutrés de Rabat, loin des caméras et des discours officiels, se joue une partie d’échecs dont les enjeux dépassent l’imagination. Ici, l’influence est une devise plus précieuse que le dirham, et le véritable pouvoir se murmure, se tisse dans des réseaux invisibles, hérités ou patiemment construits. Pour l’observateur non averti, la scène politique marocaine peut sembler opaque, mais pour l’initié, elle révèle une danse subtile entre les figures publiques et les stratèges de l’ombre. Comprendre le Maroc, c’est avant tout déchiffrer ces dynamiques souterraines, où les destins nationaux se décident bien au-delà des urnes. C’est une quête de sens, une plongée dans l’art de la gouvernance par l’influence, où chaque acteur est une pièce maîtresse d’un échiquier complexe et fascinant.
2. Le royaume des réseaux : contexte socio-culturel et dynamiques de pouvoir au Maroc
Le système de pouvoir marocain, souvent désigné sous le terme de « Makhzen », est une entité complexe où se mêlent traditions séculaires et modernité institutionnelle. Historiquement, le Makhzen a toujours été le pivot central, exerçant son autorité par un contrôle administratif affiné et une capacité de patronage étendue, régulant l’accès aux ressources et aux systèmes de représentation. Cette structure patrimoniale, où la loyauté personnelle au souverain prime souvent sur les cadres institutionnels formels , explique la concentration du pouvoir autour de cercles restreints.
La monarchie marocaine est le chef politique suprême, capable de nommer et de révoquer les ministres, de dissoudre le Parlement ou de diriger par dahir (décret royal). Le Cabinet Royal, bien que sans existence institutionnelle formelle, est perçu comme un « gouvernement de l’ombre » , où les conseillers, nommés par Dahir, jouent un rôle clé dans l’élaboration et la médiation des décisions royales. Cette architecture de pouvoir favorise l’émergence d’hommes d’affaires influents qui, grâce à leur proximité avec le Palais, accèdent à des leviers économiques et politiques stratégiques.
Ce système de pouvoir n’est pas une institution statique, mais un organisme dynamique et adaptatif qui fusionne le patrimonialisme traditionnel (loyauté personnelle, patronage) avec des outils administratifs et économiques modernes. Sa capacité à s’adapter et à se régénérer, en absorbant et en neutralisant l’opposition par l’intégration de figures clés, explique sa pertinence durable malgré les changements politiques et sociaux. La proximité avec le Palais Royal est directement liée à une influence économique significative, un pilier de la structure de pouvoir marocaine. Cette relation n’est pas fortuite ; elle est une caractéristique systémique où l’accès au patronage royal se traduit directement par des opportunités économiques et vice-versa, créant une symbiose entre l’élite économique et politique. Cette approche assure la stabilité en cooptant les élites plutôt qu’en les laissant défier la structure de pouvoir centrale. La « notabilisation » des partis et le rôle du PAM comme parti d’opposition « particulier au Maroc » illustrent comment le système gère la dissidence en intégrant les contestataires potentiels dans son cadre, leur offrant des rôles et des privilèges qui s’alignent avec les intérêts plus larges du Makhzen. Cela maintient une apparence de pluralisme tout en garantissant un contrôle ultime et en prévenant une opposition radicale.
Table 1: Les piliers du pouvoir marocain : une synthèse des 4 hommes les plus influents
Nom | Rôle Principal Actuel | Secteurs d’Influence Majeurs | Lien avec le Palais Royal | Fortune Estimée (si pertinent) | Impact Stratégique Clé |
Aziz Akhannouch | Chef du Gouvernement | Énergie, Agriculture, Immobilier | Très proche du Roi, membre du cercle restreint | 1,6 milliard $ (2025) | Modernisation agricole, gestion gouvernementale |
Othman Benjelloun | PDG Bank of Africa | Banque, Finance Panafricaine | Proche du Roi, impliqué dans projets structurants | 1,5 milliard $ (2024) | Expansion financière panafricaine |
Mohamed Kettani | PDG Attijariwafa Bank | Banque, Finance Royale | Fidèle serviteur, banque contrôlée par Al Mada | N/A | Rayonnement financier royal en Afrique |
Fouad Ali El Himma | Conseiller Royal | Politique, Médias, Sécurité | Ami personnel du Roi, conseiller influent | N/A | Stratégie politique, contrôle médiatique |
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3. Aziz Akhannouch : le premier ministre-magnat, entre affaires et gouvernance
Né en 1961 à Tafraout et élevé à Casablanca, Aziz Akhannouch incarne la fusion parfaite entre l’héritage entrepreneurial et l’ambition politique. Ayant survécu, enfant, au tremblement de terre d’Agadir, il a hérité du puissant Akwa Group, fondé par son père en 1932, un conglomérat aux intérêts tentaculaires dans le pétrole, le gaz et l’immobilier. Son ascension politique débute en 2007 comme Ministre de l’Agriculture, où il pilote le Plan Maroc Vert, puis la Génération Green, des stratégies agricoles saluées internationalement. En 2021, son parti, le RNI, remporte les élections législatives, le propulsant au poste de Chef du gouvernement, une nomination directe du Roi Mohammed VI.
L’influence d’Akhannouch est double : elle est institutionnelle en tant que Premier Ministre, et économique en tant que PDG d’Akwa Group. Son contrôle sur une part significative du marché de la distribution de carburants et d’oxygène médical (via Maghreb Oxygène) lui a valu des accusations de monopolisation et de profit excessif, notamment lors des hausses de prix. Son style de gouvernance est axé sur le renforcement du modèle social, le maintien des équilibres économiques et l’internationalisation de l’économie marocaine, avec des réformes ambitieuses dans la santé et l’éducation. Il a mis en place un nouveau modèle de gestion basé sur des budgets-programmes, visant performance et résultats concrets.
Sa carrière est jalonnée de controverses, notamment des accusations de corruption et de relations tendues avec la presse. Il a été soupçonné de fraude électorale et d’achat de voix lors des élections de 2021. Malgré cela, il est la figure la plus médiatisée de la scène politique marocaine. Son engagement dans des projets d’envergure comme la désalinisation de l’eau ou sa contribution d’un milliard de dirhams au fonds COVID-19 illustrent son investissement dans des chantiers nationaux, souvent perçus comme bénéfiques pour le pays, mais parfois critiqués pour les potentiels conflits d’intérêts qu’ils soulèvent. Sa fortune personnelle était estimée à 1,6 milliard de dollars en janvier 2025 , ce qui, pour ses détracteurs, équivaut à « tout ce que possèdent 30 millions de Marocains ». Akhannouch incarne un paradoxe central du pouvoir marocain : il occupe la plus haute fonction exécutive tout en gérant un vaste conglomérat privé. Cette situation crée une tension directe entre son devoir public et ses intérêts commerciaux privés, suscitant la colère du public et des accusations de pratiques prédatrices. Ces controverses autour de ses pratiques commerciales et de son ascension politique contribuent à une érosion plus large de la confiance du public envers les institutions politiques. Les allégations de corruption, de répression des opinions dissidentes et de fraude électorale, associées à sa forte visibilité médiatique, alimentent un scepticisme généralisé quant à l’intégrité du système politique, même lorsque son gouvernement affiche des indicateurs économiques positifs. La perception de son enrichissement personnel en période d’inflation accentue ce sentiment.
4. Othman Benjelloun : le banquier panafricain, tisseur de destins financiers
À 92 ans, Othman Benjelloun est une légende vivante de la finance marocaine et africaine. Issu d’une famille fassie influente, son parcours est celui d’un visionnaire qui a transformé une compagnie d’assurance héritée en 1988 (RMA Watanya) en un empire bancaire, BMCE Bank, devenue Bank of Africa. Dès les années 1960-70, il forge des alliances stratégiques avec des géants comme Volvo et General Motors , démontrant une prescience rare des dynamiques économiques mondiales. Son refus de céder les rênes de Bank of Africa malgré des offres de rachat importantes à 92 ans, réaffirme son leadership et sa vision audacieuse de l’innovation.
Son influence s’étend bien au-delà des frontières du Maroc. Bank of Africa est présente dans au moins 18 pays africains, faisant de lui un acteur historique et majeur de la finance panafricaine. Il est particulièrement impliqué dans des projets structurants, notamment dans la finance à impact et la responsabilité sociale et environnementale, des initiatives souvent alignées sur la vision royale de coopération Sud-Sud. Sa fortune, estimée à 1,5 milliard de dollars en juillet 2024 , témoigne de son succès et de sa capacité à naviguer les marchés mondiaux.
Benjelloun est reconnu pour son engagement envers le développement du continent, ce qui lui a valu le titre de « Meilleure Personnalité Africaine » et à Bank of Africa celui de « Meilleure Banque d’Afrique » à plusieurs reprises. Une anecdote révélatrice de son esprit visionnaire est son intérêt précoce pour la Chine dès les années 1970, établissant un bureau à Pékin bien avant ses pairs, une décision jugée « excentrique » à l’époque mais qui s’est avérée « visionnaire ». Il a même plaisanté en disant qu’il avait « 44 ans » pour éviter de parler de son âge, soulignant sa vitalité et sa projection vers l’avenir. Cependant, sa volonté de « prioriser les affaires » l’a parfois mené à des controverses, notamment l’ouverture de succursales dans des pays soutenant le Polisario, ce qui a suscité des critiques dans la presse marocaine, l’accusant de « traiter avec les ennemis du Maroc ». Son investissement dans la finance panafricaine est une raison stratégique, non seulement pour le profit, mais aussi pour le rayonnement du Maroc en tant que hub africain. L’expansion bancaire panafricaine de Benjelloun est un exemple éloquent de la diplomatie économique marocaine, alignant la croissance du secteur privé sur les objectifs stratégiques nationaux. Cette expansion n’est pas qu’une simple stratégie commerciale ; elle est explicitement liée au « co-développement maroco-africain » et à la « vision royale », ce qui indique que ses entreprises servent un agenda étatique plus large, le positionnant comme un acteur non étatique clé de la politique étrangère marocaine, utilisant le pouvoir financier pour l’influence géopolitique. La controverse liée à l’ouverture de succursales dans des pays soutenant le Polisario met en lumière la tension entre les intérêts commerciaux purs et les intérêts géopolitiques nationaux perçus. Cette situation révèle que, même au sein du système du Makhzen, des divergences peuvent apparaître, entraînant un examen public et soulevant des questions sur la loyauté ultime des acteurs économiques.
5. Mohamed Kettani : le fidèle serviteur, pilier de la finance royale
Mohamed Kettani, né en 1958, est un pur produit de l’élite financière marocaine, diplômé de l’ENSTA Paris. Sa carrière débute en 1984 à la Banque Commerciale du Maroc, l’ancêtre d’Attijariwafa Bank, où il gravit les échelons pour en devenir le PDG en 2007. Son destin est intrinsèquement lié à celui de la holding royale Al Mada (anciennement SNI), actionnaire majoritaire d’Attijariwafa Bank à plus de 46%. Cette relation fait de lui un « fidèle serviteur du roi » et un homme de confiance dans les affaires financières du Royaume.
L’influence de Mohamed Kettani est colossale, dirigée par la plus grande banque du pays. Sous sa houlette, Attijariwafa Bank a mené une stratégie d’expansion internationale agressive, acquérant quatorze banques entre 2005 et 2016, principalement au Maghreb et en Afrique subsaharienne francophone. Cette expansion est explicitement soutenue par Al Mada et s’inscrit dans la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en faveur de la coopération Sud-Sud. Sa banque est un acteur clé dans le financement de projets structurants en Afrique, répondant aux besoins en infrastructures, industrialisation et intégration régionale.
Mohamed Kettani a été honoré de la Légion d’honneur française et de l’Ordre national de Côte d’Ivoire, reconnaissant son rôle dans le développement économique et les relations internationales. Une opération notable fut le gonflement du capital d’Attijari Africa Holding à plus de 4 milliards de dirhams en 2021, une filiale discrète du groupe, soulevant des hypothèses sur son rôle stratégique. Son rôle ne se limite pas à la gestion bancaire; il est un conseiller du Roi Mohammed VI , assurant la mise en œuvre de la vision royale dans le secteur financier. Son « investissement » se justifie par sa position stratégique au cœur du dispositif économique royal, garantissant la stabilité et le rayonnement financier du Maroc en Afrique, et contribuant à la vision panafricaine du Souverain. Le contrôle direct par la holding royale Al Mada est un moteur essentiel de l’expansion panafricaine agressive d’Attijariwafa Bank. Les informations indiquent clairement que la stratégie internationale de la banque est menée « grâce au soutien solide de notre actionnaire stratégique, le fonds d’investissement panafricain, Al Mada ». Cela démontre une direction stratégique émanant du Palais, utilisant son bras économique (Al Mada) pour étendre l’influence nationale et régionale à travers des institutions financières clés. Kettani est ainsi le principal exécutant de cette vision royale. Attijariwafa Bank, sous la direction de Kettani, fonctionne comme une extension du pouvoir étatique marocain et de sa politique étrangère en Afrique. L’expansion de la banque est explicitement liée à la « vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en faveur de la coopération Sud-Sud ». Cela signifie que les activités de la banque ne sont pas uniquement motivées par le profit commercial, mais aussi par des objectifs géopolitiques, positionnant le Maroc comme un partenaire économique majeur sur le continent. Il s’agit d’une forme subtile d’influence étatique par le biais d’entreprises privées, où les opérations financières deviennent des outils de politique étrangère, projetant le
soft power et le leadership économique du Maroc.
6. Fouad Ali El Himma : le conseiller royal, architecte des stratégies de l’ombre
Fouad Ali El Himma, né en 1962 à Ben Guerir, est bien plus qu’un conseiller royal ; il est une figure quasi mythique, l’ami d’enfance du Roi Mohammed VI depuis les bancs du Collège Royal de Rabat. Cette proximité unique lui a conféré un rôle central et discret dans l’architecture du pouvoir marocain, le positionnant comme un « homme-orchestre » et un « stratège de l’ombre ». Son parcours est celui d’un homme qui a su naviguer entre les sphères publiques et privées, toujours au service du Palais.
Son influence est profonde et souvent invisible. Il est le fondateur du Parti Authenticité et Modernité (PAM), un parti souvent perçu comme étant proche du Palais et créé pour contrer la montée du PJD. Bien qu’il ait démissionné de ses fonctions au PAM en 2011 pour préserver la neutralité de son rôle de conseiller royal , son empreinte sur le paysage politique reste indéniable. Il est également lié à Mena Media Consulting, une firme de relations publiques qui aurait été impliquée dans la surveillance des médias sociaux pour le compte du Ministère de l’Intérieur , soulignant son rôle dans le contrôle médiatique et la gestion de l’information.
Décrit comme calme mais ferme, il intervient avec autorité pour corriger les écarts par rapport aux directives royales, agissant comme un « rempart inébranlable contre les échecs ». Sa discrétion n’est pas un retrait, mais un choix stratégique de gouvernance, opérant « loin des logiques d’exposition ou de pouvoir personnel ». Il est réputé pour sa capacité à « capter les signaux faibles » et à « décrypter les messages codés », faisant de lui un acteur clé dans la prise de décision stratégique. Son « investissement » est dans la stabilité et la continuité du système monarchique, agissant comme un « pilier silencieux mais incontournable ». Des rumeurs de « Tahakoum » (contrôle profond) ont circulé, le liant à des opérations d’influence dans l’ombre , illustrant la perception de son rôle de « cerveau politique ». Le rôle de Fouad Ali El Himma illustre la dynamique informelle, mais très efficace, du « cabinet de l’ombre » au sein du Palais Royal. Les conseillers royaux sont décrits comme un « gouvernement de l’ombre » sans existence institutionnelle formelle, et El Himma, en tant que « conseiller principal » et « le plus influent », opère avec une « discrétion remarquable » et est impliqué dans « l’élaboration, l’exécution et la médiation des décisions Royales ». Cela suggère une structure décisionnelle parallèle où les décisions gouvernementales formelles sont souvent façonnées ou guidées par ce cercle de confiance autour du Roi, assurant ainsi l’alignement avec la vision du monarque. L’influence durable d’El Himma souligne que la loyauté et la confiance personnelles envers le Roi sont primordiales pour accéder et maintenir le pouvoir au sein du système marocain. Son statut d' »ami personnel du roi depuis les bancs de l’école » est constamment mis en avant comme le fondement de son pouvoir. Sa « fidélité indéfectible à la personne du Roi » est citée comme une raison de sa position respectée. Cela renforce l’aspect de « loyauté et patronage » du Makhzen, où les liens personnels avec le souverain sont plus cruciaux que les mandats politiques formels ou la visibilité publique, définissant la véritable hiérarchie de l’influence.
7. Le Makhzen : architecture invisible du pouvoir
Le Makhzen, bien plus qu’une simple administration, est un système de gouvernance ancré dans l’histoire, caractérisé par une concentration du pouvoir autour de la monarchie. Son fonctionnement repose sur une capacité de patronage étendue, contrôlant l’accès aux ressources et aux systèmes de représentation. La légitimité du Roi, en tant qu’Amir Al Mouminine, lui permet d’opérer au-dessus des institutions, invoquant diverses formes de légitimité pour justifier l’étendue de ses pouvoirs, parfois même en dehors des dispositions constitutionnelles. Le micro-storytelling de cette entité invisible est celui d’une forteresse séculaire, dont les murs sont faits de traditions et les fondations de loyauté, s’adaptant sans cesse aux tempêtes du temps.
La description de cette architecture est celle d’une tapisserie complexe, où les fils du contrôle administratif s’entrelacent avec les murmures du patronage et les liaisons invisibles de la loyauté. Chaque décision, chaque nomination, est une maille ajoutée à ce tissu, renforçant sa cohésion et sa résilience. Le Makhzen maintient un « quadrillage administratif » renforcé, avec un réseau d’agents d’autorité (gouverneurs, caïds, pachas) qui relaient le pouvoir central vers la périphérie. Ces agents, investis personnellement par le Monarque, assurent le contrôle territorial et la mobilisation des populations, notamment lors des élections. La division stratégique du territoire, comme celle de la préfecture de Casablanca, vise à renforcer ce contrôle.
Le « prix » de ce système se mesure par les limites imposées à la démocratie formelle, les anecdotes de ses interventions subtiles et l’investissement constant dans la stabilité et la continuité du régime. Le système réactive les anciens réseaux et en établit de nouveaux pour assurer la loyauté et le soutien. Les positions élevées dans l’État et le contrôle des entreprises publiques servent souvent de récompenses pour les clients fidèles. L’intégration des élites politiques, y compris d’anciens opposants, dans le système par le biais de la « notabilisation » est une stratégie clé pour maintenir l’équilibre politique et éviter les défis frontaux. Les élections sont décrites comme « semi-compétitives », avec des arrangements politiques souvent confidentiellement établis à l’avance par un système de « quotas ». Le Ministère de l’Intérieur exerce un contrôle significatif sur les opérations électorales « avant, pendant et après ». Le Makhzen renforce les institutions islamiques orthodoxes et cultive la loyauté de l’armée par des mesures de recrutement et de contrôle personnel des promotions par le Roi. La longévité du Makhzen découle de sa capacité à s’adapter et à intégrer des éléments de modernité (institutions formelles, développement économique) tout en conservant sa nature centrale, traditionnelle et patrimoniale. Cela explique pourquoi, malgré les « ouvertures démocratiques », la structure de pouvoir fondamentale reste intacte, la rendant résiliente. Les institutions démocratiques formelles au Maroc (parlement, gouvernement) fonctionnent dans le cadre global du Makhzen, ce qui limite leur autonomie et leur pouvoir décisionnel réel. La capacité du Roi à révoquer des ministres, à dissoudre le parlement et à gouverner par dahir illustre directement la suprématie du pouvoir royal sur les organes élus. La description des parlementaires comme « mes ministres » renforce la conception patrimoniale de ces institutions, où leur rôle est davantage consultatif et légitimant qu’indépendant.
8. L’économie royale : Al Mada et les leviers financiers
Au cœur de l’échiquier économique marocain se trouve Al Mada, la holding d’investissement royale, dont l’influence s’étend bien au-delà de ses participations financières. Son histoire est celle d’une entité discrète mais omniprésente, dont les décisions stratégiques résonnent à travers tout le Royaume et sur le continent africain. Elle est le bras financier du Palais, un acteur clé dans la mise en œuvre de la vision économique royale.
La texture de cette influence est celle de l’or et de l’acier : une solidité financière inébranlable, alliée à une agilité stratégique. Al Mada est un actionnaire majeur dans des secteurs vitaux, de la banque (Attijariwafa Bank) à l’énergie, en passant par les télécommunications et l’immobilier. Sa particularité réside dans sa capacité à initier et à soutenir des projets d’envergure nationale et panafricaine, souvent en partenariat avec des entreprises privées, mais toujours avec une orientation stratégique dictée par le Palais. Les « particularités » de son action résident dans sa capacité à mobiliser des capitaux considérables pour des projets d’infrastructure, de développement social et de rayonnement international, agissant comme un catalyseur pour l’économie marocaine.
Le « prix » de son influence est inestimable pour le Royaume, car elle représente un investissement stratégique dans la croissance et la stabilité. Les « anecdotes » sont souvent celles de grands projets nationaux et d’expansions africaines, où la présence d’Al Mada est un gage de confiance et de solidité. La « raison de l’investissement » d’Al Mada, au-delà du profit, est de servir la vision royale de développement et de positionner le Maroc comme un leader économique régional. Le rôle d’Al Mada illustre comment la monarchie utilise ses leviers économiques pour façonner le paysage financier et industriel du pays, et au-delà. La holding royale ne se contente pas d’être un investisseur ; elle est un instrument de politique économique et de diplomatie, garantissant que les grandes orientations du pays sont suivies par les acteurs économiques majeurs.
9. Les médias : miroir ou outil de l’influence?
Le paysage médiatique marocain est en pleine mutation, marqué par une transition vers le numérique où les réseaux sociaux (YouTube, Facebook, Instagram, TikTok) sont devenus des sources d’information prépondérantes, surtout chez les jeunes. Malgré cette diversification, la confiance dans les médias reste faible (28%), principalement due à une perception de proximité avec les pouvoirs publics, un traitement partiel des sujets sensibles et une dépendance persistante aux subventions étatiques. Le micro-storytelling des médias marocains est celui d’un équilibre délicat entre l’information et l’influence, où chaque ligne éditoriale peut être une fenêtre sur les dynamiques de pouvoir.
La description de ce paysage est celle d’une mosaïque aux couleurs contrastées : une presse francophone historiquement élitiste, maintenue en vie par des acteurs économiques et politiques (dont Aziz Akhannouch et la holding royale SNI) , et un secteur audiovisuel encore largement sous contrôle étatique malgré la libéralisation. La « texture » est celle d’un discours souvent « lisse », évitant de « questionner, voire contredire l’ordre économique, politique et social ». Les « particularités » incluent la prédominance des médias en ligne et des réseaux sociaux comme espaces de débat moins régulés.
Le « prix » de cette influence médiatique est la défiance du public, mais la « raison de l’investissement » pour les acteurs du pouvoir est la capacité à façonner l’opinion et à promouvoir une image favorable. Les « anecdotes » incluent l’implication de firmes comme Mena Media Consulting, liée à Fouad Ali El Himma, dans la surveillance des médias sociaux et la promotion de l’image d’entités publiques. Cette situation met en évidence la complexité des stratégies de communication du pouvoir, qui cherche à la fois à contrôler le récit et à s’adapter aux nouvelles dynamiques numériques. Le contrôle éditorial des médias au Maroc est une manifestation directe de la volonté du pouvoir politique de maîtriser le discours public. La propriété de médias par des acteurs économiques clés, souvent liés au Palais, et la ligne éditoriale « lisse » de nombreux titres, sont des preuves de cette emprise. Cette situation conduit à une faible confiance du public dans les médias, car la perception d’une proximité avec les pouvoirs publics est généralisée. La prolifération des médias en ligne et des réseaux sociaux offre un espace de débat moins directement régulé, mais le pouvoir tente également d’y exercer son influence, notamment par la surveillance et la promotion d’image.
10. Réseaux informels : le pouvoir des connexions discrètes
Au-delà des structures formelles de l’État et des entreprises, le Maroc est un royaume où les réseaux informels jouent un rôle capital dans les dynamiques de pouvoir et économiques. Le micro-storytelling de ces réseaux est celui d’un tissu social complexe, où la confiance et les relations personnelles sont les véritables monnaies d’échange, permettant de contourner les rigidités et d’accéder à des opportunités autrement inaccessibles.
La « description sensorielle » de ces réseaux est celle d’une toile invisible, mais palpable, tissée de murmures et de poignées de main discrètes. La « matière » de ces connexions est la loyauté, la parenté, l’amitié de longue date, et les intérêts partagés. Le « commerce parallèle 2.0 », porté par les réseaux sociaux comme TikTok et Telegram, en est une illustration frappante, créant un marché numérique agile et non régulé, où la maîtrise des algorithmes et de la viralité est une « particularité » essentielle. Ces réseaux ne sont pas seulement économiques ; ils s’étendent à la sphère politique, influençant les décisions et les nominations dans l’ombre.
Le « prix » de l’accès à ces réseaux est souvent l’allégeance et la discrétion, tandis que les « anecdotes de célébrité » sont celles de réussites fulgurantes ou de contournements astucieux des règles formelles. La « raison de l’investissement » dans ces réseaux est l’efficacité et la flexibilité qu’ils offrent, permettant de naviguer un système parfois lourd et bureaucratique. Ces réseaux informels sont une composante essentielle de la gouvernance au Maroc, agissant comme des canaux parallèles de décision et d’exécution. Leur existence et leur influence démontrent que le pouvoir ne réside pas uniquement dans les institutions officielles, mais aussi dans ces connexions souterraines qui facilitent les affaires et les manœuvres politiques. La prévalence du secteur informel, qui représente une part significative de l’emploi et de l’économie marocaine , et la capacité de ces réseaux à échapper à la régulation, soulignent leur importance et les défis qu’ils posent pour la formalisation et la transparence.
11. La diplomatie économique : le Maroc en Afrique
Le Maroc, sous l’impulsion de sa monarchie, a redéfini sa présence sur le continent africain, transformant la diplomatie économique en un pilier de sa politique étrangère. Le micro-storytelling de cette stratégie est celui d’une reconnexion profonde, où les liens historiques et culturels sont réactivés pour tisser un réseau d’influence économique et politique sans précédent. C’est l’histoire d’un Royaume qui, fort de sa stabilité, se positionne comme un hub incontournable pour les investissements et la coopération Sud-Sud.
La « description sensorielle » de cette diplomatie est celle d’une expansion méticuleuse et d’une présence tangible. Les « matières » sont les investissements bancaires, les projets d’infrastructure, les initiatives de développement agricole et les partenariats commerciaux. La « coupe » est sur mesure, adaptée aux besoins spécifiques de chaque pays partenaire, avec une attention particulière à la finance verte et à la responsabilité sociale d’entreprise, souvent portée par des acteurs comme Othman Benjelloun et Mohamed Kettani. Les « particularités » résident dans la vision à long terme et l’engagement du Roi Mohammed VI, qui multiplie les tournées africaines, accompagné par les figures clés de l’économie marocaine.
Le « prix » de cette stratégie est un investissement considérable en capital et en ressources diplomatiques, mais la « raison de l’investissement » est le renforcement du leadership régional du Maroc et la diversification de ses partenariats. Les « anecdotes de célébrité » sont les inaugurations de banques, les lancements de grands projets agricoles ou énergétiques, et les sommets économiques qui renforcent les liens bilatéraux. Cette diplomatie économique est une illustration de la manière dont le Maroc projette son pouvoir et son influence, non par la force, mais par la coopération et le développement mutuel, créant un réseau d’interdépendances bénéfiques. Cette approche est un exemple de la manière dont le Maroc utilise son secteur privé, notamment ses géants bancaires, pour servir des objectifs de politique étrangère. La croissance de ces entreprises sur le continent est explicitement alignée sur la vision royale de coopération Sud-Sud, ce qui signifie que le développement économique est aussi un outil de rayonnement politique et géopolitique.
12. L’art de la cooptation : intégrer pour mieux régner
Dans le système politique marocain, l’art de la cooptation est une stratégie séculaire, affinée pour assurer la stabilité et la continuité du pouvoir. Le micro-storytelling de cette pratique est celui d’une invitation discrète mais irrésistible, où les voix potentiellement dissidentes sont non pas réprimées, mais absorbées dans le giron du pouvoir, transformant les opposants en collaborateurs. C’est le récit d’une alchimie politique où la loyauté est la matière première la plus précieuse.
La « description sensorielle » de la cooptation est celle d’un processus subtil, où les « matières » sont les positions officielles, les accès privilégiés, les ressources économiques et la reconnaissance sociale. La « coupe » est adaptée à chaque individu, offrant des rôles qui flattent l’ambition tout en canalisant l’énergie vers les objectifs du Makhzen. Les « particularités » de cette stratégie incluent la « notabilisation » des partis politiques, où d’anciens partis militants comme l’USFP ont vu leur identité se transformer après leur intégration au gouvernement, adoptant des méthodes clientélistes pour mobiliser le soutien.
Le « prix » de cette cooptation est la dilution de l’opposition et parfois la perte de crédibilité des partis aux yeux du public, comme cela a été le cas pour le PAM après le retrait de Fouad Ali El Himma. Cependant, la « raison de l’investissement » pour le Palais est la préservation de l’équilibre politique et la prévention des défis frontaux. Les « anecdotes de célébrité » sont les parcours d’anciens opposants qui se retrouvent à des postes clés, illustrant la capacité du système à intégrer diverses personnalités. Cette stratégie assure la stabilité en cooptant les élites plutôt qu’en les laissant défier la structure de pouvoir centrale. La « notabilisation » des partis, où les contestataires potentiels sont intégrés dans le cadre du Makhzen, recevant des rôles et des privilèges alignés sur les intérêts du pouvoir, maintient une apparence de pluralisme tout en garantissant un contrôle ultime et en prévenant une opposition radicale.
13. Bonus : secrets d’influence : naviguer les coulisses du pouvoir marocain
Pour ceux qui aspirent à comprendre les rouages invisibles du pouvoir au Maroc, quelques clés de lecture s’imposent. Le véritable art de l’influence ne réside pas dans les titres officiels, mais dans la capacité à naviguer les réseaux parallèles et à comprendre les codes non-dits du Makhzen.
Premièrement, la proximité avec le Palais est la monnaie la plus forte. Les hommes les plus influents sont ceux qui ont tissé des liens personnels et de longue date avec le Souverain ou son cercle rapproché. Ces relations, souvent héritées ou construites sur des décennies de loyauté, ouvrent des portes que l’argent seul ne peut acheter. Il ne s’agit pas seulement d’être compétent, mais d’être digne de confiance et de discrétion absolue.
Deuxièmement, la maîtrise des leviers économiques est indissociable de l’influence politique. Les grands conglomérats et les banques, souvent liés à la holding royale, ne sont pas de simples entités commerciales ; ce sont des instruments de la stratégie nationale, tant sur le plan intérieur qu’international. Comprendre leurs investissements, c’est décrypter les orientations futures du Royaume.
Enfin, la capacité à opérer dans l’ombre est une marque de véritable pouvoir. Les stratèges discrets, les conseillers silencieux, ceux qui évitent les projecteurs, sont souvent les véritables architectes des décisions. Leur influence se mesure à leur capacité à anticiper les défis, à corriger les trajectoires et à maintenir la cohérence du système, loin des tumultes médiatiques. Pour l’initié, la lecture des communiqués royaux et des mouvements économiques est une partition à déchiffrer, révélant les mélodies de l’influence.
14. L’héritage et l’avenir : une vision aspirationnelle du leadership marocain
Le Maroc, à la croisée des chemins entre tradition et modernité, continue de forger son destin sous l’égide d’un leadership complexe et multidimensionnel. Les figures d’influence que nous avons explorées ne sont pas de simples acteurs, mais les architectes d’une nation en constante évolution. Leur pouvoir, qu’il soit économique, politique ou médiatique, est intrinsèquement lié à la vision royale, façonnant un modèle de gouvernance unique, où la stabilité est une valeur cardinale et l’adaptation une nécessité.
L’héritage de ces hommes, et des réseaux qu’ils incarnent, est celui d’un Maroc qui se projette avec ambition sur la scène africaine et mondiale, tout en consolidant ses fondations internes. L’avenir du Royaume dépendra de sa capacité à maintenir cet équilibre délicat entre les sphères formelles et informelles du pouvoir, à intégrer les nouvelles générations d’élites, et à répondre aux aspirations d’une société de plus en plus connectée et exigeante.
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15. FAQ : décrypter l’influence au Maroc
Q1 : Qu’est-ce que le « Makhzen » et quel est son rôle actuel? R1 : Le « Makhzen » désigne le système de pouvoir centralisé autour de la monarchie marocaine. Il combine des traditions séculaires de patronage et de contrôle administratif avec des institutions modernes, agissant comme le pivot de la gouvernance et de la régulation des ressources.
Q2 : Comment la proximité avec le Palais Royal influence-t-elle le pouvoir économique? R2 : Une proximité étroite avec le Palais Royal ouvre des portes à des opportunités économiques stratégiques. Les acteurs économiques proches du Roi bénéficient d’un accès privilégié aux projets d’envergure nationale et aux réseaux d’influence, comme le démontrent les cas d’Aziz Akhannouch, Othman Benjelloun et Mohamed Kettani.
Q3 : Quel est le rôle des hommes d’affaires dans la politique marocaine? R3 : Les hommes d’affaires jouent un rôle stratégique majeur. Ils sont souvent à la tête de grands conglomérats qui sont des leviers économiques pour la mise en œuvre de la vision royale, participant activement aux décisions politiques et à la diplomatie économique du pays.
Q4 : Comment les médias sont-ils liés au pouvoir au Maroc? R4 : Une partie significative des médias marocains est sous le contrôle d’acteurs économiques et politiques proches du pouvoir. Cela se traduit par des lignes éditoriales souvent lisses et une faible confiance du public, bien que les réseaux sociaux offrent des espaces de débat moins régulés.
Q5 : Qui est Fouad Ali El Himma et pourquoi est-il si influent? R5 : Fouad Ali El Himma est un ami d’enfance et conseiller principal du Roi Mohammed VI. Son influence découle de cette proximité unique, de son rôle de stratège politique dans l’ombre, et de sa capacité à naviguer les dynamiques de pouvoir en coulisses, agissant comme un pilier de la stabilité du régime.
Q6 : Quel impact la stratégie panafricaine des banques marocaines a-t-elle sur l’influence du Maroc? R6 : L’expansion panafricaine de banques comme Bank of Africa et Attijariwafa Bank, soutenue par la vision royale, renforce le leadership économique du Maroc sur le continent. Ces banques agissent comme des instruments de diplomatie économique, facilitant les investissements et la coopération Sud-Sud.
Q7 : Les réseaux informels ont-ils un impact sur la politique marocaine? R7 : Oui, les réseaux informels, basés sur la confiance et les relations personnelles, jouent un rôle crucial en complément des structures formelles. Ils peuvent influencer les décisions, faciliter les affaires et contourner les rigidités administratives, comme en témoigne le développement du commerce parallèle via les réseaux sociaux.
Q8 : Comment le système marocain assure-t-il sa stabilité face aux changements? R8 : Le système marocain assure sa stabilité par un art de la cooptation, intégrant les élites et les voix potentiellement dissidentes dans le cadre du pouvoir. Cette capacité à s’adapter et à absorber les changements tout en maintenant sa nature centrale et patrimoniale est une clé de sa longévité.